Tu vas me manquer
23 Janvier – 18 Février 2026
Exposition collective
Gabrielle Alexandre, Clémence Bruno, Sévérina Ianakieva
Galerie Ars Longa
Au moment où l’exposition se met en place, les trois amies et artistes décident de partir, de quitter leur territoire ou d’y revenir. Le départ est le point d’entrée de l’exposition ; l’espace de la galerie devient un lieu de retrouvailles. Tu vas me manquer s’adresse à chacune d’entre nous. À ce que l’on laisse en partant. Ce trio show est une façon de renouer ou de concilier le départ, de créer une maison ensemble.
Pour Gabrielle, la « maison » évoque davantage notre territoire, le village, l’espace extérieur, élargi autour de la maison. Les raccourcis connus par cœur qui nous y mènent,se dérober des autres, de leur regard parmi les sapins – car il y a toujours des yeux aux fenêtres, écouter attentivement la pluie et le bruissement des feuilles. C’est imaginer une présence furtive au son d’une branche qui craque, inventer des objets-témoins du passage vers un autre monde à partir de sève, de coquille d’escargot ou d’écorce. C’est un lieu où femmes et fées se réunissent pour penser à d’autres possibles. La « maison » se déploie comme un espace de réparation. À l’intérieur de celui-ci, Gabrielle met en scène des figures féminines et fictives issues d’un univers rural oscillant entre Twin Peaks et les contes et légendes de Franche-Comté. Inspirées du personnage de la Loglady de la série de David Lynch, les femmes apparaissent comme les gardiennes de leur territoire, mystérieuses et rusées, tissant des liens entre elles – qu’elles soient amies ou amantes, et protégeant le paysage qui les entoure.
Pour Clémence, la maison se situe plutôt à l’abri, entourée de quatre murs. Il s’agit d’un lieu d’accueil et de repos, où s’accumulent différents objets qui s’articulent entre eux pouvant devenir le point de départ d’une narration. La maison est un territoire singulier où se tissent et se concrétisent les amitiés. La rencontre du dedans permet alors d’atteindre une relation qui s’ancre dans la temporalité du quotidien. Les culottes mal rangées, la vaisselle sale et les chaussures en vrac, deviennent une porte d’entrée, se faisant témoins des confidences et de la tendresse partagée. Clémence n’envisage pas cet espace comme fonctionnel, sa fonction première n’étant pas l’efficacité, mais sa capacité à accueillir, à rassembler et à faire émerger l’amitié. Au moment du déménagement, la question s’est posée : comment partir quand tout cela ne peut pas être emmené avec soi. C’est pour cela que, au même titre que les objets offerts et collectés, la peinture est là pour faire la passerelle entre le dedans et le dehors, pouvoir figer et rejouer à l’infini l’intérieur de la maison afin de pouvoir partir sans trop pleurer.
La pratique de la peinture, pour Sévérina, est une manière de faire appartenance, de s’ancrer dans le monde. Comme l’isba de baba Yaga, maison sur pattes de poulet, le foyer devient le sanctuaire du connu et du vu, un mode transitoire en constant mouvement. Un endroit où déposer son chagrin et son amour. Elle amasse les images des yeux de ses amie.s, de ses familiers, et des paysages fluorescents. Sévérina chasse dans ses songes l’image obsédante de la maison d’une vie fantasmée en Bulgarie. La maison n’est ni un lieu physique, ni remplie de personnes réelles : les murs bougent tout le temps, et ses habitant.es deviennent les symboles d’une vie vécue au vol. Cette exposition arrive après un retour, un peu forcé, mais longuement attendu à ses racines et finalement dans sa vraie maison, vide de toute son identité et de tous ses souvenirs. Loin de ses amies qui constituaient jusqu’ici sa seule notion de famille, il a été question pour elle de chérir celleux qui évoluent à nos côtés. Son travail s’accompagne de la pensée de la chercheuse Donna Haraway sur la question du lien entre l’espèce compagne et l’humain, d’autant plus sur la question des animaux de rue (pigeons, chiens, chats, et autres espèces co-évolutives habitantes des rues urbaines et désacralisées). Comment peut-on construire une maison quand on n’a pas vraiment de maison, pas d’endroit pour déposer définitivement reliques et gris-gris, pas d’endroit où s’arrêter ? C’est à cet endroit que la peinture prend son sens : c’est en elle qu’elle immortalise l’espace et sacralise les symboles qu’elle rencontre.
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